Concevoir et construire obsolète, quel intérêt ?

Pour lutter contre le gâchis énergétique et limiter le réchauffement climatique, les bâtiments sont soumis à des normes de moins en moins laxistes. L’objectif de ces normes est astucieusement contourné par des concepteurs qui s’ingénient à respecter les critères au plus juste en exploitant les failles de la réglementation. Pour y parvenir, ils ont besoin que cette réglementation ait été bidouillée par des collègues qui ont pour mission de favoriser les intérêts de certains au détriment du bien commun.

Ensuite, la mise en oeuvre de la conception est réalisée au plus juste par des entreprises bien peu concernées par l’intérêt à long terme de l’utilisateur du bâtiment. Entre des matériaux nocifs, pas toujours durables (au sens tenue dans le temps) et une mise en oeuvre approximative, le chantier ne compense aucunement une conception pingre.

Le laxisme qualitatif des normes précédentes permettait la livraison de bâtiments inefficaces, coûteux et déficients dans leur rôle premier de protection contre les aléas climatiques. Et comme les normes progressent quand même plus vite dans l’urgence, on aboutit à une situation qu’on pensait ne jamais voir dans le bâtiment : la livraison de bâtiments neufs considérés comme dépassés dès leur réception. Ces bâtiments, les experts les reconnaissent au premier coup d’oeil en se demandant comment les rénover pour les rendre vraiment aptes, alors qu’ils ne sont même pas encore utilisés ! Ouvrez les yeux en vous promenant le long des chantiers, c’est impressionnant…

Alors quel intérêt de livrer en 2015 des bâtiments conçus avec la RT20005 (car étudiés avant 2013), déjà obsolètes ? Quel intérêt de prévoir une livraison en 2018 d’un bâtiment RT 2012 alors que la réglementation suivante le rendra obsolète avant réception ?
Pourquoi les pouvoirs publics autorisent-ils l’implantation d’immeubles en limite du domaine public ou privé alors qu’il faudra les ré-isoler par l’extérieur dans quelques années ?

Qu’on ne dise pas que les professionnels du bâtiment, concepteurs comme réalisateurs n’en sont pas capables : ils savent que l’avenir à moyen terme passe par le bâtiment de type passif. Pour ceux qui s’investissent, ils savent les concevoir et les construire. Car la difficulté n’est technique qu’à la marge.

Peut-être faut-il se demander qui a intérêt à l’obsolescence programmée du bâtiment ? Pas le propriétaire occupant, c’est évident. Il n’a pas intérêt à se retrouver avec une habitation, un bureau ou un atelier à améliorer dès la fin de chantier. Pas le bailleur social qui souhaite offrir le meilleur logement possible à ses locataires, même si c’est à un coût contraint. Pas l’utilisateur du bâtiment qui va payer sa mauvaise qualité pendant des années.

Il y en a évidemment qui sont intéressés : les industriels et les marchands de matériaux qui ont intérêt à produire, vendre des matériaux qui participeront plus rapidement à l’augmentation des déchets. Cela leur donnera l’occasion d’en vendre d’autres… Tous ceux qui participent à la conception et la fabrication des bâtiments n’ont pas intérêt à les voir durer longtemps sans intervention comme une rénovation lourde. Les energéticiens, bien sûr, qui veulent profiter de la rente de situation au maximum avant de changer de métier, le gaspillage énergétique est la condition de leur survie.

Plus insidieusement, mais pas moins surement, les financiers - au sens large - ont vraiment intérêt à transformer le bien durable qu’est le bâtiment en consommable. En exigeant une rentabilité forte à court terme, ils poussent toute la chaine à négliger les intérêts à long terme, à favoriser leur intérêt propre contre le bien commun. Et l’obsolescence programmée du bâtiment est une de leur grande réussite !

Commentaires

1. Le par M.

très, et malheureusement trop, juste !

2. Le par Patouchka

Bjr, un petit coup de geule de fin d'année ? Vous avez raison, mais c'est au final le problème des looby qui existent dans une économie libérale.. Les décisions ne sont pas prise que parcequ'elles sont bonnes mais aussi car elles raportent... Il faudrait un arbitre qui équilibre l'ensemble...

3. Le par Gwen

Bonjour,

Construire obsolète, c’est une chose qui est malheureusement assez inévitable. Chaque nouvelle règlementation thermique rend obsolète toutes les constructions en cours.
Ce qui est le plus choquant, c’est la manière de contourner l’esprit de la loi pour en faire le minimum. Par exemple, construire des maisons avec isolation intérieure, placo et velux, c’est une catastrophe pour le confort dès qu’il y a un peu de soleil et des températures qui montent. Malheureusement, les clients laissent faire ça par manque de budget, de temps, de connaissance ou d’intérêt.
C’est clair que concevoir des maisons sans inertie est une erreur presque aussi importante que de faire une maison sans isolation.
Atteindre des besoins de chauffage de moins de 50 kWh/m²/an n’a rien d’extraordinaire (même si c’est un peu plus difficile en montagne et dans le nord est de la France), par contre, les habitats mal conçus courent les rues !

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